a. Cher père, je suis ici très-agréablement; je vois souvent Goethe, j'ai dîné la semaine dernière trois fois chez lui en petit comité, faveur qu'il accorde très-rarement aux étrangers. J'ai pu pénétrer plus avant dans son âme, l'entendre parler plusieurs heures de suite, s'épancher avec une verve et une chaleur qui ont cinquante ans de moins que lui. Ce qu'il y a d'admirable, c'est qu'il est au courant de tout, s'intéresse à tout, est présent à tout; il raconte nos vaudevilles nouveaux comme s'il venait de les voir, sait par coeur les chansons de Béranger; il ne se fait rien en Allemagne sans qu'il y prenne part. Ses traits ressemblent beaucoup au portrait qu'il a envoyé, à M lle Cuvier, et que M me de Goethe, sa belle-fille, m'a donné; mais il faut placer sur ses lèvres sévères, un peu dédaigneuses, le sourire de bonhomie qui y erre sans cesse, et dans ses yeux une flamme extraordinaire qui en jaillit par moments, pour avoir l'idée de Goethe quand il est lui-même, c'est-à-dire en famille. Avec du monde il est plus froid, mais sans raideur dans ses manières. Sa taille est droite comme un jonc; c'est véritablement une nature d'une force prodigieuse. Je viens de lire ›Héléna‹, épisode de la Suite de ›Faust‹, qu'il a composé l'hiver passé, à soixante-dix-sept ans, et qui paraîtra dans quinze jours avec la première livraison de ses oeuvres complètes. C'est un ouvrage très – extraordinaire, on y trouve des passages d'une puissance d'une grâce incomparable.